08/01/2014 // Lauberhorn et Hahnenkamm: l’âme du ski
Hors JO et championnats du monde, la combinaison Wengen/Kitzbühel à une semaine d’intervalle vers mi-janvier constitue chaque année le point d’orgue de la saison de ski, et ce depuis plus d’un demi-siècle. L’occasion de se pencher sur les caractéristiques de ces courses au profil très différent, qui expliquent que le doublé Lauberhorn/Hahnenkamm soit un peu considéré comme un grand chelem à deux levées.
La "tête de chien" du Lauberhorn ©www.wengen.ch
Le Lauberhorn compte parmi les descentes mythiques de la saison, l’une de celles que les coureurs rêvent d’inscrire à leur palmarès et qui dans leur cœur, viennent juste après les grands championnats mais loin devant toutes les autres épreuves. Le Lauberhorn, c’est avant tout une tradition puisqu’il se dispute dans la station bernoise de Wengen depuis les années 30, ce qui en fait l’une des compétitions les plus anciennes du calendrier avec l’Arlberg-Kandahar (mais cette dernière se partage entre différents sites). Si le Hahnenkamm de Kitzbühel passe pour être la plus difficile de la saison, la course bernoise présente des spécificités qui en font une course à nulle autre pareille. D’abord sa longueur (4,5 km) puisque le vainqueur coupe la ligne après 2 minutes trente d’efforts, contre moins de 2 minutes pour presque toutes les autres descentes. Or, trente secondes, c’est beaucoup, énorme même et les coureurs arrivent souvent hors d’haleine et complètement épuisés dans le S final, ce qui occasionne chaque année de nombreuses chutes. Le Lauberhorn, c’est aussi des passages clés aux noms évocateurs, la vertigineuse tête de chien, qui plonge entre deux rochers, la bosse à Minsch (en «hommage» à Jos Minsch, un bon coureur suisse des années 60, un dur à cuire qui se cassa le bassin en 1965 avant de prendre la 2e place l’année suivante…), le Haneggschuss et ses vitesses de pointe supérieures à 150 km/h, et le trou des Autrichiens baptisé ainsi suite à l’hécatombe subie par nos voisins tombés en masse à cet endroit en 1954, à commencer par le Toni Sailer, lui-même. Pourtant, ce sont souvent des tronçons plus anodins où il faut savoir et pouvoir glisser, qui font la différence, notamment le Brüggli-S et le passage de la Wasserstation. Avant-guerre, le Suisse Karl Molitor s’y illustre avec 5 victoires. Puis, les Autrichiens imposent leur loi avec d’abord, le triple médaillé olympique de 1956, Toni Sailer, qui triomphe quatre fois de suite entre 1955 et 1957, puis Karl Schranz, l’aigle de l’Arlberg qui signe à son tour un quadruplé (59, 63, 66, 69). Quelques-uns de plus grands inscriront leur nom au palmarès: Killy, Klammer, Maier mais curieusement, trois de nos plus grands champions, Russi, Zurbriggen et Cuche en revinrent toujours bredouilles. Et Wengen, c’est aussi un panorama unique, avec la Jungfrau et l’Eiger en arrière-plan et une station qui a su conserver son caractère.
L'approche du schuss final à Kitzbühel ©www.kitzbuehel.com
A mille lieues de la discrète Wengen, Kitzbühel est une station plutôt bling-bling, où le champagne coule à flots et où les célébrités en manteaux de fourrure s’agglutinent dans l’aire d’arrivée. Mais à «Kitz», la vedette, c’est la piste. Mausefalle, Steilhang, Hausbergkante, tous les aficionados du ski connaissent ces passages à la déclivité affolante, très imparfaitement rendue par les images TV, où les coureurs ont l’impression de plonger dans le vide, sur un revêtement où la glace est souvent au rendez-vous. Même si le tracé recèle des secteurs de glisse moins spectaculaires – et donc moins volontiers filmés – la Streif est une piste pour les gros cœurs, pour en rester à cette partie de l’anatomie humaine... La section initiale (départ, souricière, Steilhang) est ce qui se fait de plus extrême en matière de difficultés techniques. La peur est là, même chez les plus grands. Mais tous ne l’avouent pas... La légende veut qu’en 1947, 32 des 60 concurrents inscrits déclarèrent forfaits, dissuadés de s’élancer par la glace bleue affleurante… Jusqu’en 1949, la compétition est encore nationale bien que la piste soit déjà celle empruntée aujourd’hui. Inutile de dire que sur un tracé aussi sélectif, la liste des vainqueurs ne comporte pas d’imposteurs. Les plus grands y ont laissé leur empreinte à l’image de Sailer, Schranz (4 fois), Klammer (4 fois), Killy, Alphand (3 fois), Podborski, Maier. Et surtout, les Suisses parvinrent souvent à damer le pion aux Autrichiens sur leurs terres. Zurbriggen y a triomphé 3 fois tout comme Heinzer, Collombin (2 victoires), qui y est aujourd’hui encore fêté comme un héros, Mahrer, Kernen, Défago, et surtout, Didier Cuche, quintuple vainqueur, ce qui en fait le recordman de l’épreuve. A noter que là encore, Russi ne figure pas au palmarès. Pour entretenir la légende, la station de Kitzbühel baptise les bennes de l’un de ses télécabines au nom des anciens vainqueurs, qui entrent ainsi dans l’immortalité…