01/02/2014 // Populaires au soir de leur carrière
Dans le sport de haut niveau, le grand public adore les athlètes vieillissants, les papys qui font de la résistance et ceux qui tentent un come-back improbable après une énième blessure. Certains, méprisés voire haïs pendant leurs jeunes années, deviennent les idoles des foules au crépuscule de leur carrière. Raillé pour son short en jeans, ses tenues bariolées (il était surnommé le cacatoès de Las Vegas…), sa longue chevelure (en fait un simple postiche, comme il le révélera lui-même plus tard), André Agassi passe pour un arrogant prétentieux qui ne respecte rien, à commencer par ses pairs et la tradition de son sport. Quelques années plus tard, chauve, père de famille modèle marié à Steffi Graf, il est unanimement respecté par les mêmes qui le traînaient dans la boue. Et que dire de Jimmy Connors, de ses manières de sale gosse qui passait son temps à houspiller ses adversaires en les traitant de noms d’oiseau et à se saisir ostensiblement l’entrejambes en signe de mépris? Passé la trentaine, on ne retenait plus de lui que le vieux lion rugissant, le guerrier ultime, prêt à livrer son dernier combat en laissant si possible ses tripes sur le court. En golf, les foules tombaient en pâmoison au passage des Jack Nicklaus et des Arnold Palmer perclus d’arthrite, qui, au temps de leur splendeur, les lassaient à force de gagner. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, dans tous les sports. Passé un certain âge, et aussi exécrable que soit leur caractère, les sportifs sur le retour suscitent l’émotion. Au-delà des aspects factuels, qui peuvent expliquer qu’un sportif antipathique a le droit de changer du tout au tout, le public, égoïstement, sait que les heures de ses idoles sont comptées, qu’il ne va plus les voir évoluer très longtemps et il leur pardonne tous leurs péchés de jeunesse.
Hermann Maier : controversé avant d’être adulé
En ski alpin, deux exemples illustrent admirablement ce principe de balancier. Hors d’Autriche, l’immense Hermanm Maier passe pendant des années pour un être hautain, à peine fréquentable et qui, crime abominable, se permet de tout gagner ou presque. Mais deux événemements vont fondamentalement changer la donne. D’abord sa chute vertigineuse à la descente olympique de Nagano en 1998, la gamelle du siècle. L’Autrichien s’envole littéralement sur une bosse, traverse 3 rangées de protections et s’en tire sans trop de dommages. Quelques jours plus tard, il s’adjuge le titre du Super-G. Depuis ce jour, Maier devient un champion à visage humain. En 2001, il est victime d’une terrifiante chute de moto qui faillit lui coûter une jambe. Malgré des belles victoires, dont le titre mondial du géant en 2005, il ne retrouvera jamais l’intégralité de ses moyens. Mais son accident renforce son image de «survivant» et partout où il passera, il sera adulé par les foules.
Didier Cuche: un regard différent grâce à une émission de TV
Le cas de notre Didier Cuche national est un peu différent: au début de sa carrière, le skieur des Bugnenets ne gagne pas beaucoup, malgré une médaille aux JO de Nagano, et personne ne s’intéresse trop à lui, surtout qu’il se montre parfois assez rugueux. Ce n’est pas qu’on ne l’aime pas, mais sa notoriété est insuffisante. Mais le temps va assagir le Neuchâtelois et il deviendra un «client» très apprécié des médias. Et puis, il commence à gagner, un peu puis beaucoup. Et comme Maier, un épisode douloureux contribuera à asseoir sa popularité. En 2005, il se blesse sérieusement au genou et pendant sa convalescence, il laisse une équipe de la télévision romande le filmer. Dans ce document intitulé «Le doute» et diffusé le 9 mars 2007, le public découvre un Cuche, vulnérable, grimaçant de douleur. La carapace tombe: le champion à terre, cabossé, émeut plus que le vainqueur en état de grâce. Son image en ressortira grandie. En fin de carrière, Cuche sera un sportif idolâtré, en Suisse mais aussi à l’étranger. De la sueur et des larmes, disait Churchill… La patine du temps, les heures noires, font parfois plus que les titres et les médailles pour la popularité d’un athlète. Adulé par toute une nation depuis tout jeune, notre Roger Federer national constituera-t-il une exception à la règle, lui qui a tendance ces derniers temps à ternir sa belle image par une politique de communication éminemment discutable et nombriliste?